L’auteur franco-algérien est récompensé pour son nouveau roman « Houris », mémoire balafrée d’une Algérie en mal d’introspection.
Un des grands favoris cette année, Kamel Daoud a été couronné du Goncourt, lundi 4 novembre par l’Académie du prestigieux prix littéraire français et francophone. À l’origine de cette récompense, figure « Houris », le nouveau roman de l’auteur publié chez Gallimard.
Plutôt accueillie par la critique, l’œuvre de 400 pages fait un retour dans un chapitre de l’histoire douloureuse de l’Algérie, en l’occurrence la décennie 1992-2002. Cette période marque aussi surnommée « décennie noire », a vu plus de 200 000 personnes pâtir d’une guerre entre gouvernants et islamistes.
Choisi dès le premier tour par six voix sur dix par le jury du Goncourt, « Houris » brise l’omerta encore très pesante aujourd’hui sur cette période en Algérie. En témoigne l’interdiction actée par la loi de l’évoquer de quelque manière que ce soit, et surtout pas à travers un livre.
« Avec Houris, l’Académie Goncourt couronne un livre où le lyrisme le dispute au tragique, et qui donne voix aux souffrances liées à une période noire de l’Algérie, celles des femmes en particulier« , indique l’Académie du Goncourt dans son communiqué d’annonce.
Une voix contre le silence
Une femme en particulier sert de fil conducteur au livre. À travers le personnage de cette jeune coiffeuse nommée « Aube » et défigurée par une tentative d’égorgement durant cette guerre, Kamel Daoud plonge le lecteur dans l’abysse, où l’intolérance le dispute à l’inhumanité.
« On ne peut pas effacer ton histoire, elle est écrite sur toi », fait notamment dire l’auteur à son héroïne, dont la cicatrice en forme de « sourire » devient le symbole de toutes les voix étouffées. Une métaphore ô combien puissante de la mémoire mutilée d’un pays qui a sacrifié la justice sous l’autel de l’amnistie.
Certains diront « impunité », tant les actes commis par les différents acteurs de ce conflit sanglant révèlent la part d’ombre de l’humain. Houris se présente, tant à travers Aube que par son auteur, comme un acte de défiance envers l’ordre établi.
Car faut-il le rappeler, le livre reste interdit à la vente en Algérie. Mieux, son éditeur, Gallimard, s’est vu interdire le mois dernier la participation au Salon du livre d’Alger en représailles à la parution de l’œuvre.
Un auteur particulièrement subversif
Pour Daoud, habitué des controverses depuis qu’une fatwa a été lancée contre lui en 2014 après sa critique de l’islam sur un plateau de télévision française, cela représente presque une confirmation de la nécessité de son action littéraire.
Lui dont les prises de position dans la presse française – il est chroniqueur du Point et contributeur au magazine Marianne entre autres –, ne passe jamais inaperçues chez lui, au pays.
L’attribution du Goncourt à ce roman dérangeant est plus qu’une reconnaissance littéraire : c’est un acte politique qui légitime une parole dissidente. Elle signe sans doute également, un pied de nez de Paris envers Alger, à l’heure les relations entre les deux capitales sont particulièrement glaciales.
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